Cap sur la science : Deux titulaires de chaire de recherche Canada 150 préparent le terrain pour la mise au point de laboratoires autonomes et d’un vaccin vital contre le fentanyl
Cap sur la science
Deux titulaires de chaire de recherche Canada 150 préparent le terrain pour la mise au point de laboratoires autonomes et d’un vaccin vital contre le fentanyl
Date de publications : | Chaires de recherche Canada 150

Le professeur Borries Demeler, au centre-droit, et les membres de son équipe de recherche font une pause dans un endroit pittoresque alors qu’elles et ils passent par le parc national de Glacier, au Montana, pour se rendre à une conférence. | © Borries Demeler
Alán Aspuru-Guzik et Borries Demeler sont parmi les deux douzaines de titulaires de chaire de recherche Canada 150 qui ont été nommés à l’occasion du 150e anniversaire du pays. Ils ont quitté les États-Unis pour s’installer au Canada et, sept ans plus tard, ces deux scientifiques sont convaincus que les partenariats qu’ils ont noués ici sont à l’origine de remarquables percées faites dans leurs domaines respectifs de la chimie et de la biophysique.
Tout cela a été rendu possible grâce à un investissement fédéral de 117,6 millions de dollars visant à permettre aux universités du Canada d’attirer au pays des universitaires, des chercheuses et des chercheurs de haut calibre et de renommée internationale.
Monsieur Aspuru-Guzik était professeur à la Harvard University avant de gagner les rangs de l’University of Toronto. En tant que titulaire de la Chaire de recherche Canada 150 en chimie théorique et quantique, il a fondé le Matter Lab (en anglais) qui a pour mission d’accélérer la découverte de nouveaux produits chimiques et matériaux utiles à la société en tirant parti de l’informatique quantique, de l’apprentissage machine et de l’automatisation.
« L’University of Toronto m’a soutenu et a appuyé ma vision. Voilà pourquoi l’endroit idéal pour moi est ici », déclare le chercheur.
Pour sa part, M. Demeler a quitté l’école de médecine de l’University of Texas à San Antonio, où il était spécialiste en ultracentrifugation analytique, pour venir s’installer à l’University of Lethbridge, en Alberta. En sa qualité de titulaire de la Chaire de recherche Canada 150 en biophysique, il a monté le Canadian Center for Hydrodynamics (en anglais), un centre de recherche offrant des services complets de caractérisation des solutions à l’intention des scientifiques qui étudient les molécules à l’échelle nanométrique.
« Je ne regrette pas du tout mon choix », assure le chercheur.
Alán Aspuru-Guzik : « Je suis convaincu que c’est à la frontière de la science que se situe l’action. »
Ayant grandi à Mexico, M. Aspuru-Guzik était un enfant curieux qui lisait des encyclopédies pour s’amuser et qui s’intéressait vivement autant à la chimie qu’à l’informatique. C’est pourquoi il ne lui a pas été facile de choisir le domaine dans lequel il poursuivrait ses études.
« J’ai fait mon choix en jouant à pile ou face », avoue-t-il. Au bout du compte, il a obtenu un doctorat en chimie physique à l’University of California, Berkeley.
« Lorsque j’étais à Berkeley [en tant que chercheur postdoctoral], j’ai réussi à comprendre comment mettre l’informatique quantique au service de la chimie, c’est-à-dire comment utiliser les ordinateurs quantiques au lieu des ordinateurs classiques pour simuler la chimie », explique-t-il.
En tant que scientifique de classe mondiale et pionnier des matériaux énergétiques propres, de la chimie computationnelle, de l’informatique quantique, de l’intelligence artificielle et de l’expérimentation autonome, Alán Aspuru-Guzik a continué à faire reculer les limites de la chimie tout au long de sa carrière.
« J’ai eu beaucoup de chance en définissant d’abord de nouveaux domaines, explique le chercheur. Je suis convaincu que c’est à la frontière de la science que se situe l’action. »
Lorsque M. Aspuru-Guzik a eu l’opportunité de venir occuper une chaire de recherche Canada 150, la diversité culturelle de Toronto l’a séduit puisque, né aux États-Unis et ayant grandi au Mexique, il était lui-même issu d’un milieu international. « Toronto est une ville formidable pour quelqu’un comme moi », déclare-t-il.
À l’University of Toronto, le Matter Lab est en pleine expansion. Il compte 45 chercheuses et chercheurs issus de différents horizons – jusqu’à environ 60 membres si l’on inclut les étudiantes et étudiants de premier cycle. Ensemble, elles et ils travaillent à la jonction de la chimie théorique et de la physique, de l’informatique et des mathématiques appliquées et sont avides d’idées nouvelles et d’approches susceptibles de bouleverser leurs domaines.
« Je crois que mon laboratoire est reconnu pour représenter un groupe très créatif, car j’engage des personnes travaillant dans de très nombreuses disciplines. Le Matter Lab se distingue des autres laboratoires du fait qu’on peut y trouver des spécialistes en génie chimique, en chimie, en informatique et en sciences physiques qui s’attaquent ensemble à un même problème », précise-t-il. Dernières recrues du laboratoire : des robots!
En 2022, l’University of Toronto a reçu, par l’entremise du Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada, une subvention prestigieuse s’élevant à près de 200 millions de dollars. M. Aspuru-Guzik a alors été nommé directeur du Acceleration Consortium (en anglais) pour approfondir le concept de « laboratoire autonome ».
Alán Aspuru-Guzik se penche sur le concept des laboratoires autonomes depuis 2017, année où il a coorganisé une conférence de réflexion à Mexico. Selon lui, ce concept est un moyen pour les chimistes d’économiser temps et argent, tout en faisant plus de découvertes. Les laboratoires autonomes diffèrent des laboratoires traditionnels du fait qu’il y est possible, pour un programme d’intelligence artificielle, de sélectionner la prochaine expérience à faire en analysant les données et en s’appuyant sur sa capacité à prédire ce qui fonctionnera. Il s’agit là d’une démarche qui pourrait conduire à la découverte de nouveaux matériaux et de nouvelles molécules en un temps record et pour une fraction du coût habituel.
L’impressionnant investissement de 200 millions de dollars témoigne de l’immense potentiel que représentent les laboratoires autonomes. Ces laboratoires pourraient produire un nombre infini de produits, qu’il s’agisse de médicaments vitaux, de plastiques biodégradables, de ciment à faible teneur en carbone, de sources d’énergie renouvelable ou autres.
Monsieur Aspuru-Guzik est fortement motivé par la perspective d’un avenir plus durable. Il poursuit actuellement des recherches visant à transformer le bitume tiré des sables bitumineux en batteries organiques. Il travaille également sur des méthodes de recyclage des plastiques de consommation.
« Je pense chaque jour à ce genre de progrès, confie-t-il. Je me demande comment ma technologie peut servir à faire la différence. »
Borries Demeler : « Voilà qui a complètement changé la donne! »
Borries Demeler positionne l’University of Lethbridge comme une plaque tournante dans le domaine de l’ultracentrifugation analytique. Cette technique scientifique sophistiquée, qui avait failli disparaître, consiste à faire tourner des échantillons dans une ultracentrifugeuse à des vitesses extrêmement élevées pour séparer les molécules. À l’aide de plusieurs systèmes de détection optique, elle peut fournir des renseignements sur la taille, la forme et les interactions d’un échantillon.
Monsieur Demeler a été exposé pour la première fois à l’ultracentrifugation analytique à la fin des années 1980, alors qu’il était étudiant de troisième cycle à l’Oregon State University. C’est un professeur et mentor qui lui a fait prendre conscience de la valeur de cette technique. Mais, à l’époque, sa principale application, qui consistait à mesurer la masse des protéines, perdait rapidement en popularité au profit d’une nouvelle méthode plus rapide et moins coûteuse : l’électrophorèse sur gel.
« En un rien de temps, l’ultracentrifugation analytique a été éliminée du milieu de la recherche et a pratiquement disparu », déplore le chercheur.
Mais alors qu’il n’était encore qu’étudiant, il a trouvé un moyen d’empêcher cette disparition en numérisant les utracentrifugeuses analytiques, des appareils vieux de 40 ans.
« Je suis allé voir mon professeur et j’ai partagé mon idée avec lui. Numérisons ces appareils, ai-je suggéré, afin de pouvoir utiliser un ordinateur pour effectuer des analyses de données beaucoup plus sophistiquées et étendre la technique à de nombreuses nouvelles applications. Voilà qui a complètement changé la donne! ».
Il a atteint son objectif et parcouru la côte ouest des États-Unis afin de numériser des appareils pour d’autres. Il a ensuite créé UltraScan, une suite logicielle ouverte et multiplateforme qui analyse les résultats produits par ultracentrifugation analytique.
« Je n’ai jamais rien commercialisé, y compris mes logiciels. J’ai toujours tout donné gratuitement, et j’ai même mis mon logiciel sur GitHub, où tout le monde peut le télécharger, consulter son code source, l’améliorer et l’utiliser », souligne le chercheur.
C’est cet échange de logiciels ouverts qui a contribué à la renaissance de l’ultracentrifugation analytique.
Aujourd’hui, les scientifiques utilisent l’ultracentrifugation analytique pour comprendre des systèmes moléculaires complexes. Son utilisation a fait progresser le développement de médicaments pharmaceutiques et a permis de mieux comprendre la grippe, le VIH et la maladie d’Alzheimer.
À l’University of Lethbridge, M. Demeler est désireux de collaborer afin de trouver encore plus d’applications pour l’ultracentrifugation analytique. L’un des partenariats qu’il a mis en place avec l’University of Montana, par exemple, fait progresser la lutte contre un problème de santé nord-américain parmi les plus graves à l’heure actuelle : l’épidémie de fentanyl, qui entraîne l’augmentation du nombre d’overdoses mortelles au Canada et aux États-Unis.
Dès le début de son activité en tant que titulaire de chaire de recherche Canada 150, M. Demeler a approché le Center for Translational Medicine de l’University of Montana, qui dispose d’un programme réputé de découverte et de développement de médicaments, et lui a proposé d’effectuer des tests préliminaires à l’aide des appareils d’ultracentrifugation analytique de l’University of Lethbridge. Son objectif : contribuer au développement d’un vaccin contre le fentanyl (en anglais). L’University of Montana a obtenu des résultats positifs lors de ces premiers tests, et le médicament a maintenant atteint le stade des essais cliniques. Si tout se passe bien, il pourrait être mis sur le marché en 2028.
« C’est incroyable, observe le chercheur. Ce vaccin permet quasiment d’éliminer le fentanyl avant que ses effets sur le cerveau ne soient néfastes. »
Borries Demeler se passionne également pour l’enseignement, qu’il estime essentiel pour assurer la pérennité de l’ultracentrifugation analytique – une technique à laquelle il a consacré sa carrière. « Si je ne partage pas mes connaissances, mon travail n’aura servi à rien. Il est donc de mon devoir d’apprendre aux étudiantes, aux étudiants, aux praticiennes, aux praticiens, aux entreprises et à toutes les personnes qui veulent acheter une utracentrifugeuse analytique comment utiliser cette technique », explique-t-il.
La qualité de ses étudiantes et étudiants et de son laboratoire à l’University of Lethbridge le remplit d’espoir.
« Nous jouissons d’un nouveau bâtiment magnifique et de conditions de laboratoire exceptionnelles, ajoute-t-il. Nous disposons d’un environnement commun : mes collègues, au sein de mon département, et moi-même partageons l’espace du laboratoire, ce qui encourage les étudiantes et étudiants à collaborer. Chaque jour, une idée nouvelle naît. »
L’équipe de M. Demeler a participé à des conférences internationales pour présenter ses travaux. Elle s’est même rendue en Allemagne, le pays natal du chercheur.
« L’une de mes tâches a été de faire connaître l’University of Lethbridge, confie-t-il. Je suis toujours fier de représenter cette université. En 2022, nous avons organisé une conférence internationale sur l’ultracentrifugation analytique à laquelle plus de 100 personnes provenant de 16 pays ont participé. »
Ses efforts ont porté fruit puisque lorsque M. Demeler se rend dans une université ou à une conférence pour faire une présentation, les gens connaissent désormais très bien l’University of Lethbridge.
Mots clés
- Chimie théorique et quantique
- Informatique quantique
- Apprentissage machine
- Épidémie de fentanyl
- Analytique
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- Découverte et de développement de médicaments
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